Apocryphe #9 Atelier Hiver François Bon
L’iceberg s’est détaché. Il flotte et navigue en maître, imposant et rigide sur le fluide bleu. Il s’effrite. En ces territoires polaires, ce n’est pas l’histoire du chêne et du roseau. C’est la lime. Il y a encore assez de glace aux deux pôles pour que la lime ait de quoi, elle agit tandis que les humains sont occupés à la télé ou bien dorment ou consomment. La lime a besoin de cette certitude que chacun est à sa place et ne va pas s’en déloger car s’ils surgissaient il faudrait parler et la lime ne dit rien mais agit.
Il n’est pas de lieu majuscule. Simplement il est des espèces qui disparaissent et des espaces où se conjuguent des conditions et une certaine disposition. Jardins publics, cafés, banc au soleil devant un fleuve mourant. Salle d’attente, « espace de convivialité » où ma vieille branche reçoit pour quelques jours... tout peut offrir une solitude à conquérir en essayant de respirer.
N’importe quand, toujours, la lime gratte la glace et le papier et l’encre se dilue et fond inexorablement. Cruellement transformé en filigrane, qui gratte au fond de la gorge dans une sorte de frog, le mouvement du monde à la fois est palpé par la lime et engagé dans une dissolution vicieuse. Brouillard hébété d’une rêverie enfoncée. Le stylo a roulé. Le mouvement, ou l’illusion du mouvement, porte. À l’arrière du Cheval Fourbu, de grandes flaques épanouies, rouges et sang, imprimées en plusieurs exemplaires : l’encre des tracts s’écoulent aussi, maquis de notes. Dans l’air se mêlent l’odeur des pollutions et les bruits des informations. La lime commence sa taille, déshabille et va pour violenter un jour encore.
Plusieurs équipes tirent sur une corde et plusieurs autres la retiennent. Rien ne doit se frayer un chemin. Respiration abîmée. Sens large. Inexorable assemblage bancal d’os. Vent léger. La lime coule à l’intérieur. Me lève et marche comme si de rien n’était. Pas d’histoire. Pour ceux qui ne sont pas assez autistes. Nos motivations profondes, rien de tout cela ne me meut. Respirer. Se lever avant d’avoir écrit un mot. De trois à huit tu te lèveras et très loin tu écriras ce qui se dit tout simplement. Menacé d’étouffement. Des oiseaux communs demeurent muets. Une pie. Les âmes mortes. Des yeux coulent encore. Oreilles absentes. Tu veux te fondre. Les mots se balancent comme branches mûres. Les mots finissent en To-do-list.
Se blottissent, in extremis, dans des gangues qu’on cherchera demain à respirer encore – si demain.
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